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Les Baladantes
9 décembre 2014

Quand Hooper inspire les auteurs

Atelier d'écriture inspiré par les peintures d'Edouard Hooper

TAJ       09 Décembre 2014

Edward Hopper – Office at night (1940)                 

images

 

 

 

 

72 HEURES – PAYES TES DETTES, OU BOIS LA TASSE – DERNIER AVERTISSEMENT...

 

 

 

Lui

— Tu sucres les fraises là, contrôles toi bon sang ! Toi d'habitude si fier de ton bluff, te v'la les nerfs à vif. Arrêtes donc de te donner en spectacle devant la grande cruche. Tu maîtrises rien là, reprends toi bordel ! Les crapules, une lettre anonyme jusque dans mon bureau. Ils ont le bras long. L'asperge n'aura rien vu bien entendu. « Je sais pas Monsieur Edwards ». « J'ai rien entendu Monsieur Edwards ». « J'me souviens pas Monsieur Edwards. » Elle peut pas zieuter ailleurs ! Pourquoi qu'elle me lorgne comme ça, la gourde, j'ai quand même pas mis ma culotte à l'envers ?

 

Elle

— On étouffe. Quelle chaleur ! La fenêtre ouverte n'arrange pas grand chose, une véritable haleine du diable ce courant d'air. Y'a encore des dossiers qui traînent par terre. Ça arrive tout le temps. J't'en fiche mon billet qu'il le fait exprès. Il attend quoi Monsieur Edwards ? Que je les ramasse peut-être, ses dossiers ? En attendant sur ma fiche de paye y'a écrit secrétaire, pas bonniche. Je parierais qu'il compte sur une vue plongeante de mon corsage. Le pervers ! Attends je vais lui en faire baver un peu.

Lui

— Les gangsters ! Fameuse idée de recourir à Pépino. Je vais finir au fond de la baie dans des bottes en ciment moi ! Les vermines, pour huit cent malheureux petits dollars. Pépino, ça va pas lui changer la vie huit cent dollars... merde ! Merde ! MERDE ! Faudrait que je me refasse presto. Le quinze du mois et j'ai déjà flambé la pension de Nora et ma paye avec. Si seulement j'avais les quarante dollars pour payer l'anté[1], je tenterais le coup au Panther's Club. Huit cent dollars ça se refait en une heure. J'avais pourtant promis à Nora d’arrêter de jouer. J'aurais du l’écouter Nora, maintenant me v'la raide comme un passe lacet.

Elle

— Je dégouline de partout dans cette robe. Pourquoi les couturiers font-ils des habits qui collent comme ça ? Comme dit maman, la mode créée par les hommes permet à d'autres hommes de se rincer l’œil. Moi, Monsieur Edwards ça me dérange pas qu'il se rince l’œil. Il peut se rincer l’œil tant qu'il veut. Je le trouve mignon avec sa raie au milieu et son petit costume gris qui éclaire ses jolis yeux myosotis. En plus il sent bon l'after-shave poivré, j'adore ça. Aïe ! Aïe ! Aïe ! Elles me martyrisent ces chaussures. J'ai les pieds qui gonflent par cette chaleur. Pourquoi faut-il toujours que je m’achète une pointure trop petite, 40 ça reste pourtant dans la moyenne, non ?

Lui

— Elle attend quoi la greluche ? Tout a l'heure elle a voulu s'absenter pour aller au guichet, j'ai pas fait d'histoires, je joue pas les patrons chiants, moi. Mais faudrait pas qu'elle s'imagine que j'en pince pour elle. Je vais vite changer de ton si elle continue avec ses regards de cocker martyrisé. Moi je m'en fiche des femmes. La Quinte Flush Royale voilà mon ambition. J'ai pas besoin de jupons ni de bavardages dans la vie. En plus ça coûte cher les femmes. Quand je pense à tous les biftons que j'ai claqués pour la santé fragile de Nora ! Au final, j'ai bien fait de m'en défaire de la rombière. Un trou à la cave, une tonne de charbon par dessus, voilà l'travail, ni vu ni connu. Les services sociaux peuvent continuer à payer, ça me va très bien, j'encaisse.

Elle

— Quelle poisse ces heures supplémentaires. Un vendredi, je m'en serai bien passée. J'vais me retrouvée dans le dernier train, au milieu de la bousculade du 'Happy Hour', à faire la sardine dans la foule des costards alcoolisés. Charmant ! Évidement on aura droit aux mains baladeuses, elle va encore se faire peloter les fesses la Daisy. Mes belles fesses premier choix comme dit maman. Monsieur Edwards avec son petit air bégueule, je parie qu'il les regarde mes fesses quand je sors du bureau. Si seulement il s’intéressait un peu à moi, sans hésitation que je sauterais dans son lit. Mais rien, pas un sourire, pas un mot gentil. J'ai beau tricoter des guibolles quand je tape à la machine, il lève pas un sourcil le mufle. Pourtant s’il se doutait ! Arrête Daisy ! Tu frétilles. Comme si la sueur te suffisait pas, te voilà le caleçon en nage ! Oh la-la, je vais crever dans ces pompes ridicules, le sang circule plus du tout là !

Lui

— Parbleu ! Elle a retiré du blé cet après-midi. Elle doit bien avoir un ou deux billets de cinquante dans son sac la frangine. Voilà qui arrangerait bien mes affaires. Après le taff, je file au Panther's Club avec la fraîche de Mademoiselle et en cinq tours de table je les rembourse, moi, les cerbères de Pépino. Je vais lui emprunter un billet jusqu'à demain. Hum, encore une dette. Elle a peut être un cousin ou deux la bourgeoise. Moi j'ai déjà les sbires de Pépino sur le dos, ça va comme ça ! En plus, pourquoi elle accepterait ? Depuis six semaines qu'elle travaille ici, en dehors des questions boulot, j'ai pas dû lui adresser la parole trois fois.

Elle

— Avec tous les efforts que je fais ! Chaque semaine j’achète une robe neuve de plus en plus moulante. Je me paye même des bas en soie maintenant. Ça coûte une fortune les bas en soie. Et les violettes dans le chignon ça a pas l'air de l'enivrer, le Monsieur Edwards ? Mes économies y passent ! Aujourd'hui j'ai prélevé soixante dollars sur ma cagnotte mariage. Maman va encore tirer une sale gueule ! Mais comment résister aux porte-jarretelles en dentelles et à la camisole anthracite en vitrine chez "À Paris". Une fille moderne doit se préparer à toutes les éventualités. On ne sait jamais quand et devant qui elle se déshabillera ! J'ai vingt deux ans moi, le catch à l’arrière des bagnoles ça suffit. Faut que je me case. Je me fais cinquante neuf dollars par semaine. Lui doit bien toucher quatre vingt dix, voir quatre vingt quinze par semaine. En plus y'a de l'avancement pour Monsieur Edwards dans cette banque de rapiats. Toutes le filles peuvent voir que les associés le chouchoutent. Et si l'une de ces pécores me le chopait. AH NON ! Cent cinquante dollars par semaine ! Avec un budget pareil on pourrait vivre dans le quartier des intellectuels branchés. Ils rénovent tout là bas. Ça a de l'allure. On se trouverait un deux pièces coquet aux murs mimosa avec vue sur la baie, baigné de la lumière du Sud. Sur la sonnette on lirai Mr. & Mme. A. Edwards. Ça a quek chose non ? On attendrait quelques années pour faire des enfants. J'en veux deux, non trois... non deux, enfin on verra bien. Y'me plaît moi ce projet d'avenir. Maman qui me reproche de ne jamais prendre les devants, pour le coup, là je m’émancipe. Y va bien finir par me remarquer ce foutu Monsieur Edwards, et ce jour là, CRACK je sors le harpon en dentelle noire. 

Lui

— Un plan. Il me faut un plan... Pourquoi pas une ballade au clair de lune ? Je prétexte le besoin de fraîcheur. Je l’emmène au pied du pont faire la promenade du bord de l'eau, le long du quartier des branleurs prétentieux. La nuit il n’y a jamais personne. Je prends la clé à molette dans le coffre. Quand on croise l'ombre noire des piliers, je fais mine de vouloir l'embrasser et d'un seul coup de fonte, j'te lui éclate le caisson à la bergère. PLOUF ! À la baille. On croira à une suicidée fracassée. Bon sang ça peut marcher ! Il tombe vraiment a pic ce classement de dernière minute. À cette heure ci personne ne nous verra quitter le bureau de compagnie. Prends garde Panther's Club, me voilà !

Elle

— Je rêve ou quoi ? Il a levé les yeux, il a regardé dans ma direction... Là ! Encore un coup d’œil par dessous. Oh... mais il a une idée derrière sa petite tête Monsieur Edwards ! Regardes maman, je vais te le chauffer, histoire de l'aider à se décider. Je ferme le tiroir bruyamment. Voilà, j'ai son attention. Un pas en avant, je m’accroupis les jambes serrées de biais. Je prends le bordereau. Je remonte lentement bien droite, poitrine offerte. OUPS ! Bêtement je perds l’équilibre. Je me raccroche au bureau en m’affalant à moitié dessus. Oh pardon ! Toutes mes excuses ! Qu'elle empotée ! Je murmure haletante à vingt centimètres de son visage. Il ne m'a pas quitté des yeux. Éparpillée face à lui, je lui donne pleine vue sur mon nombril en passant par les pare-chocs pure chrome. Maintenant je passe à l'estocade finale. Je me redresse, je pivote sur moi-même, je me campe sur mes jambes en tendant le tissu au maximum. Hop, pour récupérer le dossier que je viens d’échapper, je me casse net au niveau des hanches exhibant, sous le nez de Monsieur Edwards, un popotin tendu perché sur des guibolles arc-boutées. Et là, PATATRA ! Avec un petit miaulement de fausse douleur, je m’étale de tout mon long, échevelée.

Lui – il se lève précipitamment et s'accroupit auprès de Daisy

« Ça va Mademoiselle ? Vous avez mal ? Attendez je vais vous aider. Appuyez-vous sur moi. Doucement. Venez vous asseoir. Vous n'avez rien de casser au moins ? Mettez vous là, je vais vous chercher un peu d'eau. »

il sort du bureau

Elle

— Emballer, le p'tit bonhomme. Alors maman ? Fière de ta fille ? J'ai bien appris la leçon. Tu vas voir, j'ai plus qu'à jouer un peu des cils et il va suggérer une sortie en amoureux. Zut ! J'ai filé mon bas tout neuf, moi. Quel gâchis !

il revient avec un verre d'eau, elle geint doucement

Lui

« Mademoiselle Daisy, vous voilà toute pâlotte. Vous avez eu un choc. Aller... assez travailler, on va s’arrêter pour aujourd'hui. Quelle fournaise ici ! On a besoin d'air ! J'ai stationné mon auto juste en bas. Voulez vous que nous allions faire quelques pas au bord de l'eau ? Que diriez-vous de la jolie promenade le long de la baie ? Cela nous rafraîchirait. Partante ? Je ramasse tout ça et on y va. Vous allez voir, cela va vous requinquer, en plus il fait une lune magnifique ce soir. Quant dites vous ? »

Elle – qui bat intensément des cils

« Oh oui Monsieur Edwards, je crois que vous avez raison, je vais adorer ça. »

Elle  – en aparté

BINGO !

Lui – en aparté

BINGO !

 



[1]Au poker, première mise requise pour chaque joueur avant de commencer une partie.

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