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Les Baladantes
11 mars 2015

Dans le cadre d'AUROLIRE atelier d'écriture pour voyager autrement

Dans le cadre d'AUROLIRE atelier d'écriture pour voyager autrement

 

 

FRANCIS     21/02/15

                                                                                           Voyage, rencontre par accueil

 

Je pars en stop : auto, mopped, charrette, camion ou tracteur, avec tout véhicule qui veut bien m’aider à avancer dans la direction que le précédent véhicule a prise.

Et je découvre la vie des gens et les endroits traversés par mes échanges avec les chauffeurs et co-passagers.

Je quitte  la maison de mes amis, perdue  dans le Larzac, sur la petite route je fais signe aux véhicules pour monter avec eux. Le troisième est un tracteur qui s’arrête et me demande : « Ou allez-vous ? » «  Juste quelques temps dans votre direction ». Le cultivateur surpris me prends puis questionne « Vous allez voir des amis ? »  « Non, je suis là pour vous rencontrer, pour rencontrer les gens ouverts qui me prennent ». Nous ne nous connaissons pas » « Et bien, je suis écœurè, je suis obligée de me séparer de Roseline » « De qui ? » «  La vache noiraude que moi et ma femme et moi nous aimons le plus ». Mais sa ferme est la.

Je monte avec un camionneur. Le bruit du moteur est couvert par une musique anti-arabe.   « Ce sont tous des menteurs, il faudrait les écraser comme de la vermine .ils nous prennent tout et abusent de tout … » . Je laisse dire sa haine de l’autre cristallisée sur un groupe. En me quittant, il est détendu d’avoir pu l’exprimer.

Je monte ensuite dans la charrette de passage avec des enfants. « Tu ne vas nulle part ? - Goutes mes cerises. » ….

 

TAJ    21 Février 2015

TOURISMOTOURIST [turismoturist] subst. masc.

Personne qui a pour activité de lever le voile, en soulignant le typique et l'insolite, sur des lieux familiers qu'elle connaît intimement au profit de voyageurs en transit et dans le but de satisfaire son goût pour la découverte et son désir d'enrichir son expérience avant tout égocentrique à travers le regard et les sensations d'autrui. (Définition : Le Petit Ignare Illustré)

**************

 La mouche du tourismotourisme m'a piquée un jour alors que j’égrainais la chaîne des souvenirs ensoleillés, tissée sur la trame de mon enfance. Réminiscence bleutée qui me transporte vers Tanger, ville bergère, perchée sur un promontoire, qui escorte deux troupeaux à la fois - les moutons écumeux de l'Atlantique à l'Occident et ceux plus dociles de la Méditerranée à l'Orient.

Lovée au creux d'une anse qui s’arque-boute lentement vers l'Est depuis le vieux port en direction du Cap Malabata, Tanger donne asile, sans distinction et sans a priori, à tous ceux qui abordent aux sables dorés de sa baie. Tous, trouvent dans les bras de Tanger l'hospitalité que l'on réserve d'ordinaire aux amis perdus, enfin retrouvés. Le petit peuple volubile, industrieux et altruiste contribue à porter haute la réputation de pittoresque corsé octroyé à la cité.

Mais, si Tanger séduit par son accueil et la douceur qu'on a d'y vivre, il suffit que la nature s'en mêle, pour découvrir le côté impulsif de son tempérament. D'occasion, le Chergui, le vent des fous comme on l'appelle ici, tourmente la ville d'un aiguillon excessif. Balayant en rafales terribles les artères offertes dans la partie moderne, l'aquilon pernicieux fouille tout aussi outrageusement le dédale des venelles encaissées et des placettes exiguës de la Médina. De longues journées chaotiques succèdent à des nuits de hurlements, qui précédent à des journées d’angoisse. Il n'y a alors, pas le moindre recoin de la ville, qui n'échappe au fouet glacial et meurtrissant du vent salé qui se déchaîne à l'Est. Mais, sans vouloir contrarier les vitres brisées, les volets malmenés, les portes battues ou les toitures brutalisées, et sans porter ombrage à la mer démontée qui cognent furieusement la digue en la chevauchant de ses vagues endiablées, ni au remue-ménage des feuilles et des papiers ; il faut le dire, les dégâts les plus graves se constatent au fond des yeux vitreux, malheureux, rompus des habitants et encore plus tragiquement dans leur têtes frappées d'un souffle ardent de déraison. Je met quiconque au défi de trouver un seul Tangérois qui aurait le cynisme de refuser d'échanger trois jours du vent du Sud, le Sirocco tiède, beige et grinçant, contre un seul jour acéré du Chergui glacial des dingues !

Et pourtant, des châtiments de la nature, celui qui maintient les autochtones en alerte constante, frappe lorsque le ciel se vidange soudainement en trombes d'eau qui déchaînent des inondations ahurissantes. Construite sur un amas de collines, reposant dans un bassinet en hauteur qui à son tour surplombe la ceinture étroite du littoral, Tanger offre la topographie idéale pour qu'un Zeus farceur y déclenche un déluge aux proportions bibliques. Au changement des saisons, lorsque l'orage crève les nuages de sa foudre, l'averse s'abaisse en un rideau compact d'une flotte drue, dure et froide. De par sa nature ruisselante, l'eau cherche à rejoindre, au plus vite, les flots saturniens de la baie. Elle trouve à son dessein, de formidable alliés dans les innombrable pentes au flanc de l'escarpement. Quinze minutes de pluie transforme la Place de France en une cuvette bouillonnante qui se déverse à gauche par la Rue de la Liberté vers la Place du 9 Avril 47 et par le devant au travers de l'ancien cimetière Israélite et de la Rue de Murillo vers l'Avenue d'Espagne en contrebas. La Rue Des Vignes transformée en une furieuse avalanche blanche interdit tout espoir d’ascension. Au marché de la Rue de Fez taillé en terrasses, les légumistes du haut, de l'eau jusqu'aux mollets, s'affaire à surélever leurs cageots. Dans la partie basse du marché les Tangérois ont des souvenirs de débordements tragi-comiques quand les poissonniers immergés jusqu'à la poitrine tentent de récupéré leur pêche arrachée à leur étalage par une inondation invincible. Dans le fond de la Médina, les jours de pluie, il suffit de voir le remous torrentiel pour que tout à coup l'on comprenne le sens des pas de porte surélevés, au jambage montant parfois jusqu'à un mètre de hauteur.

Mais le Tangérois a acquit l’expérience et la sagesse qui prônent à la patience. Si le cataclysme frappe brusquement on sait ici qu'il cessera tout aussi soudainement. Bientôt la ville tournesol, pour se sécher, tournera son visage et son bitume au soleil déjà revenu. Les Dieux, bien au sec dans leurs Champs-élysées, s'amuseront sans doute de la déroute et du fracas qu'ils ont causés. Néanmoins les oiseaux pépillent maintenant et le ruisseau charrie les feuilles et les brindilles barbotées aux arbres. Phébus, narcisse aveuglant, s'admire dans des flaques d'eau claire. Partout dans les rues les voitures étincelantes jouent au hors-bord en redécouvrant qu'elle ont des roues. Revoilà l'ardeur qui fredonne au cœur de la cité. Après l'orage, quelle joie de respirer l'air frais dans la ville rendue à ses habitudes !

Sous l'entassement des maisons, des immeubles et des rues, le rivage peigné de sable blond s’abandonne volontiers aux rouleaux cadencés de la Méditerranée. Les Tangérois, de tout les ages considèrent ʺLa Plageʺ[1], étirée au cœur de la ville, comme leur aire de jeu ancestrale et légitime. Mes parents, en quête de quiétude à l'encontre d'éventuel mélange d'avec les indigènes, s'acquittaient annuellement et pour toute la famille du forfait d'entrée à la plage privée du Yacht Club[2]. N'en déplaise à mon cher papa, j'ai fait sur la plage publique de Tanger, de l'autre coté des barrières barbelées, les rencontres attachantes associées à la mémoire que je retrace pour vous aujourd'hui. À huit ans, en culotte de bain les yeux rougis par le sel et les narines dégoulinantes, il reste bien peu d'obstacles à l'amour qui anime les âmes diaphanes des géants qui nous habitent. L'enfance, par bonheur, exempt des préjugés d'adultes, n’inhibe pas son élan d'amitié par des concepts abscons comme le grain de la peau, le crêpé du cheveux, la musique du langage, l’anguleux des côtelettes, pas plus que par le rapiécé du vêtement ou les différences des quartiers où chacun habite.

La première fois que j'ai vu Redwan, son visage tranquille et frondeur, m'a immédiatement conquit. Une tignasse exubérante, des épaules en portemanteaux, le thorax osseux, des genoux cagneux et la ramure filiforme, il avait une grosse tête posée sur un corps dynamique et efflanqué. Il a suffit qu'il éclaire son visage d'un sourire abondant de dents blanches et qu'il allume le brasier de bienveillance espiègle au fond de ses yeux noirs, pour que je me livre sans retenu au magnétisme fier qu'il émanait. Lorsqu'il m'apparut obstruant mon soleil, les bras croisés sur le torse, les pied plantés dans le sable, il me toisait d'un air moqueur. Moi accroupis dans le ressac je délibérais, penaud, de la méthode qu'il convient d'employer pour se saisir d'une sole enfouie sous le sable mouillé du bord de l'eau. Quand il eut pleinement savourer l'empire, mi-craintif mi-admiratif qu'il avait sur moi, il tirât pour finir de derrière son dos, un coutelas de fortune fabriqué d'un morceau de roseau effilé. D'un geste rapide et précis il planta son arme en arrière de la tête dans l’ouïe du poisson. Vainqueur, brandissant sa prise contre l'azur égal du ciel, il me fit signe de le suivre.

Il m’entraîna loin, très loin, de la clôture protectrice du Yatch Club tout au bout de la plage à l’endroit où l'Avenue des F.A.R.[3] se termine en cul de sac et disparaît sous une bousculade de dunes contiguës à la plage. Là, nous retrouvâmes, entre les bosses sablonneuses,  deux gamins assis autour d'un feu de bois flotté, un carré de fer biscornu fumant par dessus. Redwan sans chichi lâcha la sole sur la plaque ardente où elle commença aussitôt de grésiller. Puis, d'un geste de la main, m'indiquant de m’asseoir et dans un français qui ne s’apprend pas à l'École Berchet[4] il me présenta aux deux gosses qui m'observaient avec curiosité en se demandant pourquoi, celui qu'ils considéraient à l'évidence comme leur chef, s’embarrassait d'un niais de l'autre bout de la plage. Pourtant, Rachid se fendit d'un sourire franc dans un visage ouvert. Chérif, la peau noire brillante à la physionomie ronde du contentement gloussait de dérision. Ce jour là, entre les buttes, tous les quatre nous brûlant les doigts et la langue de la chair cramée d'un poisson, un pacte d'amitié se lia qui aujourd'hui encore parle de nostalgie à mon cœur déraciné. Il m'arrive dans ma vie d'adulte, de rejoindre les copains au cours de mes divagations, je me les raconte en me faisant des romans. J'imagine Chérif richissime, une descendance tapageuse s’épanouissant à ses pieds. Rachid en mécanicien génial, ou en parrain astucieux d'un réseau de contrebandiers, ou les deux. Quand à Redwan, il apparaît dans mes fables tantôt guidant les touristes dans la Médina, tantôt en mollah indulgent enseignant la compassion et les lumières, ou encore en ermite assis en méditation dans une grotte secrète.

Depuis que je les avais rencontrés, aussitôt que mes pieds touchaient le sable, je m’affranchissait à tire-d'aile de la captivité du Yacht Club pour retrouver les copains. J'ai vécu entre Chérif, Rachid et Redwan l'age d’or de mon enfance. J'en garde le souvenir d'une série ininterrompue de journées ensoleillées et d'aventures à la fois coquasses, effrayantes, dangereuses, voir interdites. Dans les vagues de ʺLa Plageʺ j'échappais momentanément au carcan paternel et je posais les premiers repères de mon caractère propre.

L'été succédait à l’été et voilà que notre troupe s'enrichissait d'un nouveau membre. Un jour Redwan arriva traînant derrière lui un petit farfadet rigolo que nous adoptâmes tout de suite comme notre mascotte. Zineb, avait un physique à l'opposée de celui de son frère, elle se pelotonnait sur elle-même autant que Redwan s’élançait vers le ciel. Boulotte, haute comme trois pommes, des yeux en boutons de bottine, des dents aiguisées, elle avait un joli visage encadré par deux grosses tresses roussies au héné. Depuis qu'on l'avait acceptée dans la bande, on la trouvait en permanence, les pieds nus, dans un cafetan trop grand et rapiécé, trottinant à trois pas en arrière des grands. Peu-t-on l'expliquer par la différence des langages ou doit-on le mettre sur le compte de mes yeux bleu, il me semble bien que Zineb faisait montre de plus de timidité et de gaucherie à mon égards qu'envers les deux autres.

Nous, les héritiers impuissants, avons pleurés la métamorphose de Tanger. En conséquence des ordres égoïstes d'un souverain capricieux, nous vîmes Tanger privée de la splendeur de sa baie et de son authenticité. En quelques courtes années, le bord de mer se transfigura en une lèpre de verre et de béton toujours plus agressive qui finit par avaler la plage toute entière. Les dents acérées de ce requin là portaient des noms aussi ridicules que prétentieux. Le Shéhérazade, Le Hilton, Le Solazur, Le Mogador, Le Mirage, L'Ibis, Le Chellah, Le Marco Polo, Le Cesar, Le Rio, Le Marina, Le Palais du Calife, Le Ramada, Le Rembrandt, Le Biarritz... et j'en passe[5]. Par le truchement de ces gigantesques vautours blancs, qui refroidissaient de leurs ombres des pâtés de maisons entiers, Hassan tua dans l’œuf la possibilité d’offrir au monde une expérience sincère et véritable de Tanger. Il faut admettre, à la décharge de la couronne, que le touriste se déplace en troupeau serré et qu'il se laisse invariablement interpeller par tout ce qui lui rappelle là d'où il vient et que majoritairement il ignore les us et coutumes des lieux qu'il visite. Alors, s'il veut un steak frite agrémenté d'un peu de cresson servit sur une assiette à la façon des céramiques de Safi, de Fez ou d'Essaouira, pourquoi ne pas le lui servir ? Surtout si la trésorerie royale en fait le profit[6]... Peut-on dés lors faire un procès aux Tangérois qui, suivant l'exemple éclairé de leur bon roi, se laissèrent tenter par la cupidité. Nous les avons vu corrompre leur nature hospitalière pour la monnayer au flot incessant des agneaux. Chacun ne cherchait-il pas là un biais d'enrichir son quotidien ?

Notre territoire subit donc le bulldozer et la bétonneuse. Désormais le temps passé sur la plage relevait plus du défi Apache que de l’enivrement de vent et de liberté qui jadis gonflait nos poitrines. En effet il nous fallait, maintenant, déjouer la surveillance des chaouchs[7] pour accéder au sable. En vérité cette partie de cache cache nous excitait de bonheur, mais après la construction des grands hôtels nous n'avons jamais retrouvé la désinvolture sauvageonne de nos premiers étés sur la plage. Il fallu donc trouver des occupations à nos après-midis souvent inactives.

Un passe-temps duquel nous tâchions de nous amuser, nous employait a observer l'arrivée des ferrys qui venaient bassement se débarrasser chez nous de leur cargaison de touristes en provenance de Gibraltar, d'Algesiras de Malaga ou de Cadix. Juchés en rang d'oignons sur le mur de la rue du Portugal qui surplombe les jetées du port d'une falaise de douze mètres de hauteur, nous guettions les voitures qui sortant du pont inférieur des vaisseaux devaient nous présenter leur coffre arrière pour se diriger vers le poste de douanes. À l’époque on trouvait accolés au cul des autos un écusson signifiant le pays d'origine des autonautes. Le jeu consistait donc à remplacer la première lettre du mot 'vacance' par la lettre visible sur l'écusson. Nous voilà, nous écriant à chacun notre tour : ̶ Facance pour une voiture venue de France  ̶  Bacance pour la Belgique  ̶  Dacance pour l'Allemagne  ̶  GBacance pour le Royaume Uni  ̶  Iacance pour le l'Italie et ainsi de suite.

On pouvait aussi nous voir traîner sous les arcades de l'Avenue des F.A.R. en face de la gare ferroviaire, a étudier les joueurs de dominos, a renifler les brochettes bronzant sur les kanouns[8] ou encore a rendre de menus services aux fumeurs de Kif[9] et aux mangeurs de Majoun[10] qui somnolaient en extase dans les encoignures sombres. Sur un geste on courais chercher des allumettes, on allais quérir un verre de thé, on bondissait pour rapporter un shkofa[11] aussitôt emmancher sur le Sebsi[12]. Certes nous avons gagné beaucoup d'amis qui toujours se montrèrent généreux envers notre empressement, mais avec le recul je me demande si la fréquentation assidue de ce petit monde étourdit d’indolente insouciance ne nous a pas guidés vers ce qui allait devenir notre occupation favorite.

L’observation nous enseigna que l'estivant appréhende Tanger comme le guichet d'entrée vers un exotisme énigmatique  ̶  Tanger porte du Maroc, Maroc seuil de l'Afrique. En vérité un Maroc bien peu différent de l'Espagne qui vivote quatorze kilomètres au Nord et une Afrique encore plus bronzée que noire. Néanmoins les touristes béas qui déambulent dans les rues, tombent couramment en arrêt, caméra au poing, à la vue de l'échoppe d'Aziz le marchant d’épices et devant le déballage de Moktar le drapier. Ils se pâment là, devant l'inconcevable beauté, s'il faut les croire. L’excursionniste, lui, a la manie de s'approprier de tout ce qu'il voit en crépitant de son Canon qui sème la terreur[13]. Un petit âne exténué, une porte rouge, une enfant qui tend la main, un aveugle le nez dans les parfums du vent, le porteur d'eau bigarré de pompons multicolore, une montagnarde sous un chapeau à large bords qui affiche l'appartenance à son clan par la rayure traditionnelle de son vêtement.

— Quel sans gêne ? Doivent-ils continuer ainsi, ces ignorants impie, a effrayer les brave gens en volant les âmes ? N'ont-ils donc jamais rien vu ?

Mais, malgré leur comportement bruyant et cavalier, il subsiste dans le regard des tout-tristes une ombre d’anxiété apeurée qui suggéra, un jour à Redwan l'idée de leur servir de guide. Habitant lui même dans les hauteurs, une rue adjacente au Fort de la Kasbah, Redwan proposait que nous fassions découvrir aux vacanciers, la partie ancienne de la ville et la Médina proprement dite. Le visiteur aurait alors la chance de faire une exploration éclairée du labyrinthe. En vertu de notre connaissance intime du terrain, le droit de partager l'amour que nous portions à nos rues, nous revenait à juste titre. Il va sans dire que nous comptions bien sur quelques piécettes comme juste récompense de nos efforts. Nous devisâmes donc de l’itinéraire propice pour aller à la rencontrer du figuier de la place des écrivains publique, des badigeons de chaux vive bleutée, des portes sculptées, des bassins où murmure l'eau des fontaines, des galeries ornées de fresques fanées et de la verdure qui escalade les murailles des jardins secrets. Clou du spectacle, à mesure que l'on monte vers le Fort, les panoramas ahurissants qui vous happent ici au coin d'une ruelle, là en haut d'un escalier.

S'il nous fallu quelques tentatives pour comprendre la psychologie du voyageur, nous finîmes par mettre au point la manière qui devait nous servir maintes fois et qui a donné forme à l’idée du tourismotourisme. Par soucis d'efficacité et pour mieux inspirer confiance nous nous étions séparé en deux groupes. Rachid en compagnie de Chérif, Redwan et moi naturellement remorquant Zineb dans notre sillage. Il convenait donc d'aborder aimablement le client. On le sélectionnai de préférence seul, en couple ou en famille... mais justement en voilà une qui s'approche.

Lui, grassouillet, caméra autour du coup, déjà transpirant. Elle décharnée, avance guindée dans une robe coupée au dessus du genou d'un synthétique moderne et criard. Elle a un morveux de sept ans accroché à ses jambes. Dès qu'il aperçois les boucles ou les yeux foncés d'un gamin de son age, il s'autruche illico dans les jupes de maman. Autant dire que le mioche avance en apnée. Trois mètres en arrière du groupe, traîne une adolescente d'environ treize ans. Queue de cheval qui balance par derrière sa tête, de grosses lunettes noires qui lui masque le devant. Elle se coltine une démarche faite de mépris, d’indépendance et de dégoût.

Redwan me balance un coup de coude : —  Chouf[14], des facances.

Il s'agit maintenant de pas effrayer le quidam. Émergeant du clair-obscure de l'arcade, j'opte pour l'approche frontale, le regard franc, mais attention pas insistant. J'avance lentement leur donnant le temps d'apprécier ma belle petite gueule d'amour. En arrivant à leur hauteur je propose dans un français impeccable :

—  Une petite visite de la Médina messieurs dames ?

Au ralentissement à peine perceptible de son allure, je sais que la corde a vibrée.

—  Grand Socco ? Petit Socco ? Bab El Mansour[15] ?

Il se tourne vers elle, interrogateur. Ça sent bon pour moi. De la panoplie de mes sourires je sort celui de l’honnêteté candide, et sans laisser à madame le loisir de cogiter j'ajoute :

—  Fort de la Kasbah ? Palais Moulay Hafid ? Les plus belles vues de Tanger ?

Elle demeure le visage hermétique, pourtant ses épaules ont un petit soulèvement et ses yeux s'y prêtent : « Pourquoi pas ? » Lui, s'arrête pour me considérer d'un regard soupçonneux, le reste de la famille s'immobilise derrière lui. Ferré ! La corde se tends, il me jauge et commence a négocier. Aguerri au principe qui énonce que le touriste, neuf fois sur dix, payera la moitié de ce qu'on lui demande, j'annonce un prix de vingt Dirhams. Il m'en propose dix. J'accepte, à la condition qu'il paie d'avance. Marché conclu, et nous voilà parti.

Nous amorçons l’ascension par la Rue de la Marine. Nous traversons le marché sur la place du Petit Socco pénétrée des odeurs de la coriandre et de la menthe fraîche qui se marient à l'épices, la pêche et la viande. Nous laissons les boutiques de vaisselle et d'ustensiles en fer blanc. Plus haut nous débouchons le souffle court dans le bassin du Grand Socco. Au milieu du nuage de poussière soulevé par les autocars, la marée humaine nous engloutie. Nous nous frayons un passage parmi les voyageurs, attablés sur le trottoir, qui dévorent la soupe de fèves chaude proposée par un boui-boui crasseux. Téméraires, nous franchisons la rue. Sur le terre plein qui occupe le centre de l'agora, nous déambulons au milieu d'une foule, a l'attention, devant les conteurs, les acrobates et les charmeurs de serpents, un paradis pour les pickpockets. Au delà de cet ménagerie, nous avançons sous les frondaisons des deux jacarandas colossaux qui couronnent le marché du pain. Les vendeuses accroupies arrangent sur leur kilim[16] des pyramides de pain encore chaud. Nous débouchons dans le calme de la rue Sidi Bouabib où nous entrons visiter le cloître du Palais Moulay Hafid. Nous admirons un instant les magnifiques portes de cèdre sculpté, ornées de heurtoirs monumentaux en cuivre travaillés. Nous poursuivons par l'enfilade de la rue d'Italie pour pénétrer, à l'angle de l'Avenue Tétouane, dans le quartier des tanneurs où règne puanteur, saleté et gadoue. Toujours un succès avec les dames. Moi, gredin, je jubile de leur inconfort. Je pourrais ressortir immédiatement par la Rue El Jadida, au contraire je prends malicieusement le chemin qui longe les bains nauséabonds. Nous fuyons la pestilence par l'Avenue Ibn Al Abbar. Nous dépassons le cinéma Alcazar, temple de l’esthétisme kitsch qui charme autant qu'il amuse par sa faiblesse pour la meringue de plâtre aux couleurs pastels. Nous franchissons Bab Gzenaia pour pénétrer au delà des remparts dans la Médina véritable. Nous coupons L’Esplanade du Sbou cernée des échoppes de cristal côté ville et des marchant d'or côté Médina. Enfin nous attaquons l'ultime grimpée par la Rue Tijania. Rythmée d'orangers et de citronniers, cette voie en escalier de marches larges et faciles, monte vers le point culminant de la Médina. À la mi hauteur nous faisons un détour par le tombeau Ibn Battuta, l'explorateur Berbère du douzième siècle reconnu et respecter pour ses récits de voyages. Nous voilà tout en haut de la Médina sur le parvis du Fort de la Kasbah. Une vue grandiose à 180º s'ouvre sur la rade et le détroit de Gibraltar. Tandis que la famille s'extasie devant le spectacle de la baie azurée, je disparaît dans une petite rue et par la porte entrouverte de la maison de Redwan, les plantant là pauvres pigeons.

En embuscade sur la terrasse qui surplombe le site nous espionnons nos poires. Ils s’agitent. Lui marche de long en large. Lance une œillade inquisitrice à l’entrée des ruelles, les bras ballants, la mine défaite. Elle, elle l’engueule tout simplement.

Nous guettons patiemment l'ombre du désespoir sur leur physionomies, celle qui fera de Redwan un sauveur inespéré quand il apparaîtra sur la place déserte. On l'aborde, il fait mine de ne pas comprendre. Il fait semblant de continuer son chemin. On le retient par la manche, on le submerge de suppliques alarmées. Pour finir, le visage éclairé d'entendement Redwan propose :

—  J't'y amène a la gare des trains missiou ? Ci pas loin dix minoutes, t'y vou missiou. Wakha[17] ? Tout di suite j't'y montre, quarante Dirhams, Wakha ?

Comme prévu il en obtiendra vingt.

**************

Plus tard on se retrouvera chez le glacier de la Rue Goya. Double chocolat pour Redwan. Chocolat pistache pour moi, et pour Zineb vanille fraise qui lui empoissera les doigts en dégoulinant tandis qu'elle me dévore des yeux.



[1]À Tanger la plage n'avait pas de nom avant les grands développement immobilier des années 68 à 72, les Tangérois disait simplement La Plage.

[2]Seule plage privée de mon enfance. La plage du Yacht Club s'étendait, adossée à la digue du vieux port dans la partie la plus occidentale de la baie. La séparation se faisait par des poteaux aux couleurs rouge noir et jaune qui soutenaient des fils barbelés.

[3]Avenue des Forces Armées Royale, aujourd'hui Avenue Mohamed VI.

[4]École primaire française de Tanger.

[5]Chacun de ces hôtels morcelant la plage publique en autant de baignade privées, obligeant les Tangérois à rechercher l’accès aux vagues toujours plus loin le long de la baie.

[6]On sait par les archives publiques que la majorité des investissements qui ont financé la défiguration de la baie de Tanger venaient du roi Hassan II, des membres de la famille royale et des proche du pouvoir.

[7]Gardiens.

[8]Brasero portable.

[9]Cannabis mélangé à un peu de feuille de tabac et haché fin. Le Kif a la consistance d'une persillée.

[10]Pâte composer de dattes et figues mélangé à du hachisch.

[11]Petit fourneau de terre cuite placé en bout de la pipe du fumeur de Kif.

[12]Pipe du fumeur de Kif.

[13]Au début de l’arrivée massive des touristes les gens fuyaient les photographes. Plus tard il se feront simplement payer pour autoriser qu'on les prenne en photo.

[14]Regarde

[15]Porte El Mansour

[16]Tapis de prière

[17]D'accord

 

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