Une journée avec Christian Bobin
Nadia SLIMTHOREAU
LA PEAU DU LAIT
Le Klaxon de la vieille LADA de Dantcheto fait vibrer tout le village. Elle bondit hors de sa voiture, avec dans les bras, trois grandes bouteilles de Coca remplie de bon lait fraichement trait. Baba Petka, ma grand-mère l’invite à entrer mais, si tôt livraison faite, si tôt repartie !
Je regarde le balancement du lait qui danse au rythme des pas de Babo.
Joie de savourer bientôt le meilleur yaourt du monde. Sur une échelle qui s’étendrait de la terre aux étoiles, ce yaourt rejoint la voie lactée, aussi bon qu’elle est belle vue du Sahara. Dans la cuisine d’été, Babo installe quatre grandes couvertures de laine, celles à carreaux verts et rouges qui me gratte partout quand elles glissent hors des draps. Elle dispose sur la table de la cuisine, les bocaux tous beaux, tout propres dans lesquels aura lieu la transformation alchimique du lait en yaourt. Puis, elle verse le précieux liquide blanc encore tiède dans une grande casserole et allume le feu.
Feu doux comme un agneau
Lac blanc, calme
Frémissements du bébé volcan au cœur du lait
La peau du lait se dévoile
Les bulles jaillissent
« Naninko, arrête le feu et appelle-moi quand tu pourras mettre ton petit doigt dans le lait sans te brûler. »
Être là
Attendre le refroidissement
Attendre le bon moment, le moment juste
Être là au rendez-vous de la métamorphose possible, fertile et joyeuse
Juste avant, ça brûle
Juste après, c’est trop tard
C’est long…
Quelques fourmis m’invitent à suivre leur caravane, m’emmènent dans la chaleur du désert, de l’autre côté de moi, loin là-bas dans l’infini.
L’odeur du lait
Oui le lait !
Je plonge mon petit doigt, ça brûle encore un peu.
J’attrape la peau du lait qui comme un mini fantôme au bout de mes doigts, traverse la maison, le jardin et atterri directement dans la bouche de Diado Stefan, mon grand-père adoré qui adore la peau du lait.
Moi, je n’aime pas bien ça.
Mon petit doigt dans le lait nage à présent comme un poisson dans l’eau
« BABO, c’est maintenant ! »
Ma grand-mère arrive, une grande louche à la main.
Les bocaux vides, bien alignés sur la table, attendent leur nourriture comme des oisillons affamés. Babo verse le lait à la « juste » température avec tellement de délicatesse que j’ai l’impression d’assister à la création d’un trésor. Aucun bocal n’échappe à son petit doigt vérificateur. Elle verse alors une cuillère de « Podkvassa », le ferment, et dépose un couvercle sur chaque bocal, en chuchotant comme si le lait pouvait l’entendre. C’est le moment d’envelopper les bocaux dans les grosses couvertures, comme des nouveaux nés chaudement emmitouflés.
Maintenant, il n’y a rien à faire d’autre qu’attendre
Encore attendre le moment juste
Environ quatre ou cinq heures pour le délice, c’est Babo qui décide.
Confiance
Métamorphose
La dégustation du Yaourt, pour plus tard…
Je quitte la cuisine
Mon frère, Assen, étincelle créative de jeux à la pelle, n’est jamais très loin et surtout, toujours prêt à jouer !
J’oublie l’alchimie
Ma Bulgarie a le goût de la liberté
D’être